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Au presque quotidien
12 juillet 2014

Etrange J-C Legros 11/07/14 - Aucun tag - Editer

Etrange J-C Legros 11/07/14 -
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Gilgit, Nord-Pakistan, décembre 1993. La poussière, levée par le vent froid, m'encrasse plus encore: je rentre à la civilisation (!) après une quinzaine de jours passée dans ma famille Hunza, invité exceptionnel au mariage du fils aîné, Mujahid. Là-bas, là-haut dans la vallée, à quelques kilomètres de la frontière sino-pakistanaise, la nuit est plus noire que le noir, le silence plus silencieux que le plomb. La rivière, si grondante l'été, se mure dans ses glaciers, dans sa mère, avant de renaître au printemps. Elle se tait, elle aussi. Les gestes sont lents, gourds, figés par le vent et le froid qui enserrent ce village de Pasu, à trois mille mètres d'altitude. Pourtant, la mariée est si belle qu'elle parviendrait à couper le souffle de l'Eole poignardant mon envie de l'emmener avec moi. Invité de marque - sans doute suis-je le seul étranger à être admis aux cérémonies - , j'occupe la place d'honneur, à côté du père du marié. La nuit, je me couche avec tout le monde, dans la pièce familiale enfumée. Vingt gorges se râclent, quarante poumons tentent d'expectorer: je ne dors pas une minute. Cérémonies terminées, je reviens à Gilgit, première étape avant la capitale puis l'Europe, la Belgique et mes draps en pilou. 

Engoncé dans ma doudoune, je marche dans la rue principale, tentant d'échapper aux rafales et aux tourbillons de crasses sèches. Une silhouette m'intrigue: un homme en tee-shirt, en short, tongs aux pieds, juste en face de moi. Un européen, sans nul doute. L'autre seul. Je salue, en anglais: "que venez-vous faire ici, à cette époque?" "Je n'en sais rien, me répond-il. Je crois que je me suis trompé de voyage".

Wim est un belge du nord. Son anglais et son français sont parfaits. Nous faisons connaissance autour d'une table de l'hôtel, devant un Seven-Up agrémenté d'un whisky interdit. Il est architecte de renom, semble-t-il. Trois ou quatre fois par an, sur un coup de tête ou d'envie, portefeuille garni, il se rend à l'aéroport, valise minimum, et prend le premier vol pour n'importe où, sans savoir où celui-ci va le mener. Une fois "sur place", il s'inquiète de ce qu'il va faire. Là, sans vêtements appropriés, il est à Gilgit. J'aime assez cette façon de vivre: nous sympathisons. Connaissant le pays, je lui suggère quelques "promenades" dans la vallée hunza, écris quelques mots de recommandation à mes amis de là-haut et, bien sûr, lui prête tous les vêtements et matériel dont je n'aurai plus besoin, mon autobus vers la capitale partant le lendemain matin. 

Nous nous sommes revus maintes fois, en Belgique. Dans sa maison de Gand, nous avons dormi dans un lit suspendu au plafond. Chaque mouvement nocturne - ou d'avant le sommeil - provoquait un roulis de berceuse. Il possédait un poisson apprivoisé, qui s'alimentait tout seul: de son "museau", quand il avait faim, il venait pousser sur une petite languette reliée à une sorte de silo, qui libérait sa nourriture. Cet animal avait ses humeurs: mimiques expressives de colère ou de joie lorsque l'on s'approchait de son aquarium.

Puis le temps a fait son oeuvre de distance. De Wim, je reçois de temps en temps des nouvelles d'un peu partout dans le monde ou lors des fêtes de fin d'année ou pour mon anniversaire. Devrais-je retourner à Gilgit?

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