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Au presque quotidien
10 mars 2015

J'en ai profité, du temps...

Ce n'est que le début; je vais continuer le combat.

La mémoire de l’ombre

Paul quitta la route nationale quand il lut, sur la plaque indicatrice, les mots qu’il avait en mémoire depuis trois mois maintenant : Le bon sommeil  4.

« Plus que quatre kilomètres », se dit-il.

Il éteignit - déjà ! - ses feux de croisement. Les rayons de lune, filtrés par la forêt, et la réverbération de ses petits phares sur les flaques d’eau donnaient une luminosité suffisante pour deviner le chemin, sans trop de risques. Paul ralentit, cependant. Il lâcha le volant et se frotta les paupières, un peu pour s’ébrouer de l’apathie qui l’envahissait malgré la fébrilité qu’il sentait poindre.

Il ne reconnaissait pas les lieux qu’il croisait. Sauf cette petite chapelle dédiée à Sainte Anne devant laquelle il s’arrêtait à chacun de ses passages pour fumer une cigarette, faire le point en marchant un peu, les mains dans les poches, les épaules basses, des questions plein la tête. Il faisait trois fois le tour de la chapelle, se rappelant qu’il devait contourner un buisson de roses sauvages, à l’angle arrière gauche, auquel il s’était égratigné la première fois. La porte du bâtiment était close : un cadenas de la nouvelle génération unissait les maillons d’une chaîne qui scintillait sous la lueur de la flamme du briquet que Paul approchait de la fenêtre. Il aurait tant voulu savoir à quoi ressemblait cette Anne-là ! Son briquet n’éclairait que son oreille.

« Il faudra que je vienne pendant la journée, si je veux connaître son visage », se promit-il car il ne doutait pas qu’une icône représentant Sainte Anne trônât quelque part à l’intérieur.

« A moins que je ne prenne une lampe de poche, la prochaine fois. », conclut-il en se rapprochant de sa voiture. Il eut un mouvement d’hésitation, comme chaque fois.

Il posa ses deux mains sur le toit de l’automobile et regarda ses pieds, entre ses bras.

Seul le souffle du vent accompagnait sa respiration lente, équilibrée. Paul se parut calme. Il n’avait répondu à aucune des questions qui s’entassaient en un tel magma dans sa tête qu’il ne se les formulait même pas : elles vivaient en vrac. Il ne parvenait pas à les ranger dans les tiroirs de ses différentes émotions. Sa détermination à mener à bien son projet submergeait tout obstacle moral ou physique. Il sautait par-dessus les erreurs, les doutes, les tergiversations. Il n’en tenait pas compte mais elles étaient bien présentes, comme les oublis dont on se souvient quand il ne le faut pas.

            De la pointe du pied, il évalua la pression d’air dans le pneu arrière droit. Cela n’avait d’autre importance que de faire ce geste-là, à ce moment, un soupir du pied avant de se dire qu’il était temps d’y aller s’il ne voulait pas rater le début de sa nuit.    

            Il prit pourtant le temps d’aspirer profondément une dernière bouffée et de la rendre à l’air après qu’elle eût été nettoyée de ses polluants par ses poumons.

            Un hibou le survola. Il écrasa son mégot qui grésilla au contact de la terre humide. Il n’était pas trop tard encore. Il n’avait plus que deux kilomètres à rouler avant d’arriver. Il n’alluma aucun phare malgré l’étroitesse et la sinuosité de la route.

Il roula silencieusement, en troisième légère. Des tas de troncs d’arbres étaient empilés sur les côtés. Il approchait. Le mur d’enceinte, effondré à l’angle, lui apparut.

Il décéléra plus encore, chercha son coin de parking et stoppa net quand il arriva au niveau de l’échancrure du mur de pierres avalé par les lierres, les sureaux, les fougères et les ronces. C’était là.

C’était à cet endroit précis que sa vie avait basculé, un jour du mois dernier, le 15 avril à 21h27.

Il fit le moins de bruit possible en posant des gestes, même futiles – comme celui de prendre ses jumelles dans la boîte à gants. Il enleva ses chaussures de ville, enfila les bottes qu’il avait achetées quelques jours après l’évidence. Il posa les mains sur le volant, entra la tête au plus profond de ses épaules, grommela quelque chose qui ressemblait à scrogneugneu en se secouant puis il n’en put plus.

D’un mouvement brusque, il s’évada de son automobile, traversa la route, pénétra dans la propriété. La lune jouait à saute-moutons avec les nuages. Paul n’était plus très souple. Il trébucha maintes fois en traversant la prairie (Autrefois sans doute cet espace était une pelouse arborée : de vieux troncs, écorcés par des brebis et des chèvres, le prouvaient). Il avançait comme un espion ou un gangster, plié en deux, à petits pas vifs, interrompant sa course derrière chaque reliquat d’arbre. Il se sentait appelé par cette lumière, là, au second étage. L’odeur de la campagne (L’herbe de mai, les crottillons, l’humus, les premiers arômes) lui faisaient oublier l’eau de toilette dont il s’était couvert. Il se dirigea vers l’angelot de la fontaine, presque au pied des marches menant au perron. Il distinguait maintenant les ampoules du lustre qui éclairait la chambre là-haut. Le chérubin ailé auprès duquel Paul avait pris place était armé d’un arc. Il soufflait dans une corne d’abondance de laquelle s’échappait avec peine un goutte à goutte d’un eau agaçante qui perturbait, par son impact avec le sol, l’attention de Paul. Flic-floc, flic-floc, flic-floc. Paul se retourna brusquement: un chien venait d’aboyer, au loin. Le moindre bruit, dans ce silence, faisait l’effet d’un tintamarre de fanfare carnavalesque. Paul en avait pour des heures, il le savait. Ce qu’il ignorait, c’était le véritable pourquoi de sa présence. Sa question préférée - il la ressassait envers et contre toutes et tous – ne tenait qu’en quelques mots faciles :

Mais qu’est-ce qui me prend ? Il pouvait chercher, fouiller, trifouiller, tripatouiller, rien ne justifiait à ses yeux sa présence accroupie aux pieds d’un angelot de plâtre, ce soir-là comme les deux autres soirs. Rien, sinon la curiosité, peut-être l’envie. Pas encore l’espoir, en tout cas pour l’instant.

            Une autre fenêtre, au premier étage cette fois, s’éclaira. Déjà immobile, Paul se tétanisa : le cône de lumière l’atteignit en plein. Il fut ébloui, un très court moment. Une ombre passa devant les rideaux légers de la pièce. Une ombre petite, rapide. Paul ouvrit l’étui de cuir, sortit les jumelles et regarda les fenêtres qui, les unes après les autres, s’éclairaient, s’éteignaient, mouraient, se ranimaient. Paul poursuivait les lumières, toujours avec un temps de retard. L’ombre noire passait, passait, passait.

Lui regardait, épiait,  le souffle court, les doigts serrés sur chaque lorgnette de ses lunettes d’approche.

            C’était chaque fois le même scénario : il ne faisait que deviner ce qui se cachait derrière l’ombre.

            Ce soir-là, il se jura que plus tard, il aurait l’audace. Il s’était déjà dit cela, la fois précédente mais il s’était fait faux-bond. Cela ne lui arriverait plus. Promis.

Sagement, il regagna sa voiture, démarra en douceur et rentra chez lui. Il était 22h30 et, oui, c’était à cette heure-là qu’il rentrait et oui, il en avait assez des surcroîts de travail qu’on lui imposait, surtout pour le salaire qu’il recevait et oui, il préférerait passer la soirée avec sa femme et leurs enfants, le chien, la télévision, la prise du sèche-linge à réparer et l’ordre à mettre dans le garage. Oui, il préférerait tout cela

à son travail idiot, non valorisant. Quand parviendrait-il à trouver du temps pour tondre les cinq cents mètres carrés de pelouse ? Il n’en savait rien. Et quand ferait-il

enfin ! - la demande pour un raccordement à Internet ? Il n’en savait rien. Et quand ceci ? Et quand cela ? Il n’en savait rien, nom de dieu ! Il n’avait plus qu’une mémoire : celle de l’ombre. Depuis un mois maintenant, il en était hanté. Rien n’avait plus d’importance que cette course au Bon sommeil. Ce soir-là, comme à peu près tous les soirs, Paul s’endormit avec, dans son dos, le dos de sa femme qui, elle, lut avant d’éteindre la lampe qui était au chevet de leur maladie.

 et puis encore, pourquoi pas...allez Cléanthe, des noms!

P1120260

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Commentaires
C
La Grande Maladie du mutisme conduit à chercher sa lumière dans les ombres. Je comprends bien cet homme. Lorsque le jour c'est la nuit, il nous reste la nuit et un parc à l'abandon pour trouver quelques lueurs éblouissantes. Le Grand Sommeil, la Vraie Vie. Pour les noms, Jc, de ces petites dames, ne te les ai-je pas communiqués ?Même si, me semble-t-il, il y a eut quelques modification, notamment chez l'Hystérique et la Dévergondée ; la Coquette me semble aussi occuper une place plus vers la droite, sans compter les changements de robe, chez Mèmère, la Pieuse, Vénus...enfin je crois...Elles ne restent pas en place, ces demoiselles
J
J'ai pensé au Grand Meaulnes:<br /> <br /> "Revenu à sa vie d'écolier, Meaulnes n'a plus qu'une idée en tête : retrouver le domaine mystérieux et la jeune femme qu'il aime. Ses recherches restent infructueuses. Il s'en va étudier à Paris. C'est par hasard que son ami Seurel, devenu instituteur, retrouve la piste de la jeune dame, Yvonne de Galais (la sœur de Frantz), dont le Grand Meaulnes est amoureux..."<br /> <br /> Ext. de Wikipédia
X
Et sur le rebord d'un meuble blanc, aux nombreux tiroirs, les mémoires biscornues, rongées, comme malades, d'arbres qui ne font plus d'ombre.....
X
Il y a quelque chose de malade au royaume de cet homme qui erre dans la nuit, en quête d'une lumière qui redessinera l'ombre du mystère...
Au presque quotidien
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