Puisque
Puisque tout le monde s'y met, pourquoi rester en reste? La guerre a donc cent ans. Enfin, celle dont on parle tant. Et la guerre de cent ans, quel âge a-t-elle? Et celle des six jours? Des quatre jeudis? Du 17 novembre?
Mon arrière-grand-père maternel faisait sans doute partie de cette bande qui s'amusait du corps de celle qui, par inadvertance ou inattention, deviendrait mon arrière-grand-mère. Le géniteur (celui qui se disait tel), beurré - bourré, s'en alla déclarer la naissance. Quand on lui demanda les noms qu'il souhaitait donner à son rejeton, il appela le ciel à son secours: une étoile s'alluma. "Gaspard, Melchior, Balhazar" s'écria-t-il avant de suivre l'étoile. Personne ne le revit jamais. Sans doute a-t-il rejoint les vignes du Seigneur car il existe un Château Lavergne quelque part dans le bordelais. La maman s'en alla, elle aussi, vers un autre ciel ou une autre terre. Placement du gamin dans un orphelinat de soeurs cathos qui n'étaient pas bonnes du tout: brimades, vexations, tabas - pas - sages: un gamin né de personnes n'étant personne, les soeurs-crapauds crapules le traitaient comme ce qu'il valait à leurs yeux: rien. A 14 ans, il passa par la fenêtre et vécut on ne sait trop comment jusqu'au jour où, à 17 ans, il s'engagea dans l'armée, en juillet 1914. Il fut le plus jeune guerrier enrôlé dans l'armée belge. Il vécut dans les tranchées de l'Yser durant quelques années et connut tous les enfers que des historiens ont mieux décrits. Rentré dans sa région natale, il rencontra puis épousa ma grand-mère, qui tenait un café. Ils firent quatre enfants puis il mourut d'une cirrhose en 1951. Il poussait mon landeau tous les jours. Pendant un an: il est mort aujourd'hui, voilà 63 ans, le jour du trente-septième anniversaire de la mobilisation générale belge. On n'a rien fêté, ce jour-là.