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Au presque quotidien
6 août 2014

carnets de jardins

Au temps de la grande splendeur de la ville de Verviers, le faubourg de Heusy était à Verviers ce que Neuilly est (était?) à Paris. Villas cossues, châteaux et gens très riches qui, bien entendu, s'entouraient de domestiques, majordomes, jardiniers. Mon grand-père et mon père ont travaillé pour ces gens de la Haute. Mon père avait deux ouvriers: Emile et René. Ils travaillaient bien, ne parlaient que le bon wallon et de ballon rond. Ils "prenaient" leur quart d'heure à 10 heures pour boire leur jatte de café, leur demie-heure à midi pour manger les tartines préparées tôt matin par les épouses et leur quart d'heure à 14h30 pour la petite goutte de genièvre. L'été et les jours de congé, je travaillais avec eux. Je les aimais bien. Ils me racontaient des histoires, les temps de repos.  Ces deux-ci. "Un midi, nous étions en train de manger notre déjeuner dans le garage des B. Monsieur rentra sa voiture et, comme d'habitude, ne nous salua pas. Nous l'avons entendu dire à sa femme:"ça sent l'ouvrier, dans le garage". Nous nous sommes levés avons, remballé nos affaires, rangé les outils puis sommes allés trouver ton père pour lui dire que nous ne remettrons plus jamais les pieds dans le jardin de B. et que s'il voulait garder ce client-là, il ne nous garderait pas, nous. Mon père a préféré ses ouvriers.

Histoire deux, même heure, mêmes tartines sans doute, dans le garage de madame R. Systématiquement, sa bonne, qu'elle appelait "ma p'tite bonniche chérie", arrivait dans le garage avec une soupière pleine et versait deux bols aux deux jardiniers puis, avec un clin d'oeil, crachait dans la soupière et demandait à Emile et à René d'en faire autant. Pour rajouter à la beauté du geste, René, qui chiquait le tabac, s'nfournait une bonne pincette dans la bouche, la mâchonnait puis, tel les cow-boys dans les saloons, envoyait une belle giclée dans la soupe de Madame R.

René était  un vrai jardinier, techniquement. Il ne fallait pas cependant lui demander quoi que ce soit au niveau de la connaissance intellectuelle. Un jour, lui montrant un arbuste, une cliente lui demanda de quelle espèce il s'agissait. Pour ne pas paraître complètement idiot, il répondit qu'il s'agissait d'un Zinzanus. Plus tard, cette dame reçut une amie au tea time qui lui demanda le nom de ce merveilleux arbuste. "C'est un Zinzanus. Vous pouvez le commander à Monsieur Legros, si vous en voulez un dans votre jardin". Ce que fit la dame. Mon père répondit que bien sûr, il allait de ce pas le commander à la pépinière.... Je vous laisse deviner la suite.

J'en ai des dizaines de cents des pareilles. Vous en voulez encore? Allez, de temps en temps, d'accord.    

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Commentaires
M
Cette idée de Michèle, du cinéma ou de la littérature traitant des rapports patrons/employés, me plaît bien. J'aurais tendance à élargir aux rapports de classes et je pense en particulier au cinéaste britannique Ken Loach.<br /> <br /> <br /> <br /> Quant aux bonnes de Genet, j'en ai vu deux adaptations théâtrales dont une il y a très longtemps en Avignon. C'est un mystère et une fascination. Il faudra que je regarde un jour le texte inédit de la pièce qui est aujourd'hui dans l’œuvre théâtrale complète de Genet dans la Pléiade.
J
Et "Les bonnes" de Jean Genet... (cet arbuste était peut-être le Zinzanus!)
C
J'aime bien ces histoires de jardiniers. Mon beau-père était jardinier aussi, et fils de jardinier, alors j'ai un peu l'habitude. Son père était jardinier chez la peintre Mary Cassatt au Mesnil-Terribus.
M
En littérature jeunesse (puisque cette catégorie existe), il y a d'ailleurs ce titre :<br /> <br /> "Patron et employé ou l'automobile, le violon et le tram de course" de Gianni Rodari.<br /> <br /> <br /> <br /> "Carnets de jardins", un bon titre pour une suite...
M
Les rapports patrons/employés ont beaucoup intéressé, souvent réjoui, les cinéastes ou les écrivains. Seulement trois petits exemples : "The Servant", "La Règle du jeu", "Le Journal d'une femme de chambre".... la liste est très longue.
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