Pas le temps
Morte pour des idées (Jacques Bertin) Sur une exposition concernant la répression en Turquie, Juin 1973
Ce qui frappait sur les photos c'était la beauté de ces gens
Ils disaient: nous sommes passés de l'autre côté des tortures
Comme si on nous avait choisis pour nos visages de gisants
L'un d'eux disait: j'étais heureux et les filles m'aimaient
Quand je riais mon rire on l'entendait dans le ciel de Turquie
Il allait se confondre avec celui du vieux Nazim
Et nous étions de connivence: le poète et le jeune homme séduisant
Sur la photo voisine il y avait une jeune fille
Elle disait: je m'appelle Ulker et je suis belle
Comme les soeurs aînées des enfants amoureux
Je n'étais pas préparée pour la lutte ni pour la torture
Je traversais la vie dans mon corsage blanc
Comme un avion dans le ciel bleu, comme un rire entre mes parents
J'étais aimée d'une dizaine d'étudiants
Tu étais faite ainsi pour témoigner de l'autre rive
Pour que le visiteur s'arrête devant ta photo
Mon Dieu, se peut-il que ce visage radieux ait tant souffert
La jeune fille sur la photo répondait:
J'étais heureuse et je n'étais pas préparée
J'étais fière et dans ma démarche il y avait l'amour
Et puis quelqu'un m'a dit d'arrêter, j'ai continué, c'était là
Je n'ai jamais cessé de faire des choses naturelles
Je suis venue au rendez-vous conduite par mon sourire seul
Un jour j'ai souffert et je suis morte, voilà.
Le visiteur reste longtemps devant ton visage et ton nom
Lorsque viendra mon tour je ne sais pas si j'aurai le courage
Maintenant que tu es entrée dans le coeur douloureux des livres
Le visiteur t'emporte avec son inquiétude à tout jamais