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Au presque quotidien
9 juin 2014

Souvenirs (3 et dernier)

Les restaurants de gare sont pareils aux sanglots que ta gorge retient quand tu appuies tes yeux sur l'assiette tiède et morose qu'un garçon somnolent et crasseux et fatigué vient de poser entre tes avant-bras déjà prêts sur la nappe de papier fripé. Tu ravales: derrière toi la fatigue s'encrasse. Devant toi: la fatigue. Tu te sens en pleine forme. Tu restes là, pourtant, posé sur tes soupirs, sur ton envie frêle de rester là encore, à demi maculé de sueurs et de rêves. Dans le fond de ta paume serrée sur le manche d'un couteau mal lavé, le vide d'une vieillesse à devenir triste, à ne pas vraiment devenir vieux. Tu te parles. Tu parles au creux du miroir qui te fait face. Tu te regardes et tu cries. Tu dis que tu n'es pas saoul. Tu ne dis que la peur de dire, la panique des mots, ton manque de rire. Le petit renard qui sommeillait méandre maintenant autour de toutes tes histoires, de tous tes drames, comme tu dis. Tu as peur de ce cadeau-là. De ces mots qu'il te jette en pleine gueule quand tu le regardes. Le renardeau sinue, se faufile entre les veines trop courtes pour le chemin du sang. Tes regards sont les mots que tu ne  dis pas, que tu tiens pour les autres. Pour ceux que tu regardes. Et ils sont peu nombreux. J'ai peur de rire dans un trop plein de rires. Ton inventaire de fin d'année se résume en vidanges cassées. Ta vie est une guitare fendue, perdue dans un paysage.Tu ricanes à mots doux, mon renard, toi qui gigotes dans mes porcelaines. Tu casserais tout mais tu te tais. L'histoire, c'est pour un autre jour. Aujourd'hui, tu frôle le sommeil, la patience de mes phrases molles. Tu viens mordre à mes fils tristes. Tu mâches mes mots un à un, qui passent d'abord entre mes dents pour rejoindre les tiennes. Le risque de solitude n'est pas un leurre: tu te terres dans ma tendresse. J'attends toujours que quelqu'un passe. L'absence me donne la force de vider mon verre, de tirer sur le dernier coup de minuit. J'attends, matraqué dans le fond d'un café vide où les parlotes fatiguées se suivent avec peine. Je dis qu'ailleurs et qu'on irait et qu'on aurait pu... Je dis n'avoir besoin de rien mais, tu sais, l'oeil, ça se déchire et ça se soigne. Je n'ai plus mal aux dents: viens! Tu tiens mon sourire à tes yeux. Mes doigts sont lourds d'agonies courtes. J'attends que quelqu'un passe, le coeur battant d'autres rigolades. L'alcool  n'est pas loin, à portée de coude levé si souvent levé que mes yeux savent trop bien que c'est toi qu'ils attendent dans chaque regard et dans chaque mot. Mes mots m'empêchent de te rire, de te prendre. Mes yeux cherchent à te perdre. Si tu savais quelle attente, tu viendrais, les mains serrées sur ta peur d'ouvrir les mains. Tu viendrais, folle, rire dans ma chute. Tu arracherais à mes yeux leur premier je t'aime. Je mettrais ma main sur ta main, comme on pose un livre fragile sur un autre livre fragile. J'irais dans d'autres drames par le regard enfermé dans la paume de mes mains fanées, de mes fêtes funèbres ratées, où l'on n'a pas ri. Je ne te touche pas. Mes phrases meurent. Tu termines à peine les tiennes. Tu jettes au feu les lutrins qui portent la conduite à tenir ta vie bien au chaud. Ca fait mal, là, quand je serre le poing. Je n'ai pas peur du mot amour. Je te le crie dans tous mes jeux. Je le serre si fort qu'il s'effrite quand il devient accolade mièvre à vie fade. Mes mots voraces te prennent par le coeur, te foutent à nu. Tu te tiens à côté de mes bras, de mes dents closes sur une langue usée à force de donner illusion et mentir. Je fixe sur tes paupières des mots d'attente. Tu les gardes, fragiles. Je te surprends à en goûter le sel.

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T
La vie passe et se passe à attendre que quelqu'un passe.... Elle est passée, devenue passé.
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