mains
Il avait des mains pareilles à la boulange, son métier de pétrisseur. Elles me fascinaient. Lui aussi, vieil homme attablé
chaque jour au café "Les blés d'or". Il nous attendait, heureux de voir ces jeunes pleins d'allant et d'entrain. Il se
rangeait à nos côtés, partageant nos bières et nos sandwiches. Nous parlions de sa vie et de la nôtre. Souvent, il
regardait mes mains. "De vrais battoirs à farine" disait-il.
Pour me remercier d'un livre offert, il m'avait proposé de réaliser une petite sculpture sur bois, me demandant le thème
qu'il devait aborder pour me faire plaisir. "La montagne et l'écriture", évidemment. La semaine suivante, il m'apporta
ceci, me disant: "pour moi, la montagne, c'est l'image des mains amputées de Maurice Herzog après sa conquête de
l'Annapurna (conquête remise en question depuis quelques années. Note de moi-même.) L'écriture, c'est ce qui est en
toi." Ainsi vivait Jean Péters, boulanger à la retraite, sculpteur de saintes et de saints. Je suis heureux d'être le seul à
posséder une oeuvre impie.