elle est revenue
Il me semble que j'avais 7 ou 8 ans. Presque chaque soir, je craignais de monter me coucher: le cauchemar arrivait
systématiquement. Le seuil de la maison, la route, une haie verte, pas trop haute, deux mètres de prairie plate puis un
talus, assez raide, boueux. Au sommet de celui-ci, une jeune fille attachée à un poteau. Vers elle se dirigeait un
hippopotame, agressif, menaçant. Il approchait. Je m'élançais au secours de la demoiselle. Mais je glissais, je glissais
sur la boue du talus. Il m'était impossible d'avancer....et l'hippopotame ouvrait sa gueule, trompettait, remuait la tête,
comme s'il se secouait. La fille ne disait mot, ne cherchait pas à se délier. Et je mettais toutes mes forces dans l'escalade
de ce talus. Je retombais toujours. J'étais couvert de boue. Je ne pouvais rien faire. Je m'éveillais alors, en sueur et en
pleurs. Ce qui enclenchait ce cauchemar, c'était une musique, lancinante, très sourde. J'avais peur d'en entendre les
premières premières notes. Elle ressemblait aux airs de deux extraits musicaux du film "Eyes wide shut" de Stanley
Kubrick: Musica Ricercata II (Mesto, rigido e cerimoniale) de György Ligeti et Masked ball de Jocelyn Pook.
C'était envoûtant.
Puis tout cela a disparu. Parfois, quand cela se met, je raconte ce rêve... mais je ne le fais plus. Sauf qu' hier, après
cinq journées passées à entendre, voir et parler; après cinq journées à me dire, à me regarder; après cinq journées
aussi tristes que chaplinesques, la musique est revenue, doucement, presque sur la pointe des portées. Et j'ai revu
la jeune fille et l'hippopotame et j'ai à nouveau ressenti ma rage de ne pouvoir rien faire pour la sauver.