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Au presque quotidien
4 juin 2013

jogging et bégonias

J'avais quinze ou seize ans. Pour gagner quelques sous (en plus d'aider mon père dans son entreprise horticole), je m'occupais de l'entretien des serres de Madame M., une richissime vieille dame qui possédait une immense propriété dans les environs de Spa. Elle recevait énormément d'amants (dont, paraît-il, l'évèque du diocèse de Liège - peut-être est-ce pour cela qu'elle vouait un culte aux cyclamens!). J'étais là, tous les mercredis après-midi et chaque samedi matin. Elle me donnait la liste des choses à faire. Je m'y soumettais et remplaçais, dans ses luxueux salons, les plantes légèrement fanées par d'autres, en pleine santé. Elle me parlait peu: j'étais de la broutille, de la valetaille, du tout-venant. Ce n'était pas grave, pour moi: elle me payait pour mon travail. Elle mourut de vieillesse et non d'épectase. Je cessai donc ce travail. Au moins trente années plus tard - j'étais alors bien établi dans ma profession de jardinier -, je reçus un appel téléphonique du nouveau propriétaire de ce domaine qui me demandait un prix pour la remise en état du jardin et l'entretien hebdomadaire de celui-ci. Il était allemand, vivait à Cologne, possédait quelques villas "sur" la côte d'Azur et voulait, de temps à autre - quand il n'avait pas le temps de se rendre dans le sud de la France - s'offrir quelques fins de semaine "à la campagne". Donc, à Spa. L'affaire fut conclue et je repris le chemin, combien de fois parcouru?, de cet endroit. Lorsque, pour la première fois, je rencontrai I.S., le nouveau propriétaire, je me suis dit qu'il devait avoir de sérieux problèmes de santé: la petite quarantaine (en âge), il devait peser au moins 150 kgs. Son ventre arrivait à ses mollets. Son visage était d'une couleur que je ne peux préciser: entre le rouge et le violet. Sa voiture? En en faisant quatre fois le tour, qui que ce soit aurait dit: "cela suffit pour mon jogging d'aujourd'hui". (Cela, c'était pour le mot "jogging" du titre de ce mot). A ses yeux, j'étais aussi du commun, du rien, du pousseur de tondeuses, de l'arracheur des herbes dites mauvaises. Il me donna des indications d'une extrême précision quant à ses souhaits à propos de l'entretien de sa propriété. Sans doute serait-il plus approprié d'écrire "quant aux obligations auxquelles je devais me soumettre". Je n'en vais décrire qu'une seule (sans quoi vous arrêteriez de me lire tant elle est longue): en plein centre de sa propriété, je devais créer un massif de bégonias (blancs et rouges) ayant la forme de ses initiales: I. S. car ainsi, lorsqu'il arrivait chez lui en hélicoptère, lui et ses invités pouvaient se repérer. Il fallait qu'il soit grand, ce massif: trois mille bégonias étaient nécessaires. J'ai fait ce "truc" pendant une dizaine d'années. Puis I.S. est mort, alors qu'il  remplissait le réservoir de sa limousine. Poum! D'un coup. J'ai perdu un bon client. Le monde a perdu un gros con. Heureusement qu'il ne s'appelait pas Herbert Von Der Wranchingen. Heureusement pour lui car il eût fallu, alors, plus de six mille bégonias. Pour le le repérage des hélicoptères.          

 

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